Le Festival panafricain du cinéma cultive l’art de la résistance

Le Festival panafricain du cinéma cultive l’art de la résistance

Ils sont 10 000 festivaliers attendus cette semaine, venus de toute l’Afrique, mais aussi du monde entier en quête du prochain Timbuktu – le film franco-mauritanien d’Abderrahmane Sissako, qui avait raflé 7 César en 2015 – ou du prochain En Route pour le milliard, le documentaire du Congolais Dieudo Hamadi, sélectionné à Cannes en 2020 et récompensé notamment à Genève au Festival du film sur les Droits humains.

La 28e édition du Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco) s’est ouverte ce samedi dans un pays toujours placé sous régime militaire et en proie à la déferlante djihadiste dans le nord de son territoire. Bien sûr, l’événement doit composer avec une sécurité renforcée et lors des deux dernières éditions déjà, les festivaliers avaient dû accepter les fouilles régulières, les détecteurs de métaux et la forte présence d’hommes en armes. Malgré la menace constante, le Burkina Faso fait front et a choisi de braquer les projecteurs sur son voisin et frère dans la douleur, le Mali, désigné en tant que pays invité. La violence aveugle qui les mine* s’exprime dans la sélection 2023 avec des films comme L’Envoyée de Dieu de la Nigérienne Amina Abdoulaye Mamani ou Epines du Sahel du Burkinabè Boubakar Diallo.

Il faut saluer le courage de ceux qui, en temps de guerre, continuent à entretenir la paix en la nourrissant de partages et rencontres culturelles. Ceux qui organisent des festivals de musique, de danse, de théâtre ou de cinéma dans des pays en proie à la terreur afin de permettre aux populations d’exprimer la leur et de voir, à l’écran ou sur scène, leurs histoires racontées et comprises par d’autres. Ce n’est qu’à travers la parole, l’image ou le son que les traumas peuvent se dépasser. Le silence des hommes scelle le tombeau des âmes.

S’il importe que ces combats et ces appels à la paix soient portés jusqu’en Europe, il est vital qu’ils s’expriment dans les lieux mêmes où ces souffrances sont vécues. Il faut saluer les bailleurs de fonds qui permettent aux organisateurs de poursuivre leur marche en avant en offrant aux populations l’espoir qu’un jour viendra où leur vie retrouvera la saveur de ces trop rares instants de répit. Si ce n’est pas pour la culture, pourquoi nous battons-nous, alors ?, aurait demandé Winston Churchill pendant la guerre. C’est par les récits et l’imaginaire partagés, que résistent les peuples. En Iran, en Ukraine, au Congo et au Burkina Faso.

A l’ombre de Sembène Ousmane et de Safi Faye

A Ouaga, où l’ambiance se propage du Palais des sports aux salles en plein air en passant par la Galerie marchande, l’Hôtel de Ville et les différents chapiteaux, un hommage a été rendu, ce dimanche à l’Aîné des anciens, le cinéaste sénégalais Sembène Ousmane, dont le 100e anniversaire de la naissance a été marqué le 1er janvier dernier par l’ouverture d’une grande rétrospective à la Cinémathèque de Paris. Parmi les illustres disparus auxquels il fallait faire référence sur la Place des cinéastes, au moment de la Cérémonie de libation, figurait un autre grand nom du cinéma mondial : Safie Faye, disparue trois jours avant l’ouverture de la plus grande fête du cinéma organisée tous les deux ans sur le continent.

Née à Dakar mais décédée à Paris le 22 février dernier, cette pionnière du cinéma sub-saharien laisse de nombreux longs métrages derrière elle, comme autant de jalons de l’histoire du 7e art : Lettre paysanne (1976), Moi ta mère (1979), Selbè et tant d’autres (1982), mais surtout Mossane (1996), son unique fiction. Cette dernière, sélectionnée à Cannes, lui avait d’ailleurs valu une épique bataille juridique avec ses bailleurs de fonds français… Preuve que la création reste un combat de chaque instant en Afrique.

Malgré les nuages qui encombrent ses cieux, la 28e édition du Fespaco veut croire en ses bonnes étoiles passées, celles de ces deux « créateurs intègres », et à venir.

Avec 170 oeuvres en lice, dont quinze longs métrages de fiction, les créateurs d’Afrique ont de quoi largement alimenter leurs discussions et réflexions jusqu’au 4 mars prochain.

Karin Tshidimba

* Différentes ONG font état de 10 000 morts dues au terrorisme au Burkina Faso depuis 2015 et comptabilisent environ 2 millions de déplacés.

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