Kitendi » signifie « tissu » en lingala, une des langues nationales de la République démocratique du Congo (RDC), parlée également de l’autre côté du fleuve Congo, à Brazzaville.
Ces adeptes de la « Sape », pour « Société des ambianceurs et des personnes élégantes », ont commencé leur show sur le boulevard du 30 Juin, la plus grande artère de la Gombe, quartier le plus opulent de Kinshasa. Ils se sont ensuite rassemblés dans le cimetière attenant au boulevard, autour de la tombe de leur « pape » à eux.
Devant journalistes et curieux, ils prennent la pose, exhibent un mélange flamboyant et parfois cocasse de vêtements de marque et de créations très personnelles.
Ibrahim, par exemple, porte une veste de costume et une longue cape blanche sur une jupe à carreaux qui lui arrive aux chevilles.
Un sapeur de 52 ans, qui se fait appeler Maître Contrebasse, frime avec sa salopette bleue signée du styliste japonais Yohji Yamamoto. « Ça coûte très cher », déclare le quinquagénaire, qui se dit professeur de mathématiques.
Beaucoup dépensent des sommes folles pour répondre aux critères de la Sape, dans un pays dont les deux tiers des quelque 100 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté – 2,15 dollars par jour selon la Banque mondiale.
D’autres font avec les moyens du bord et l’inspiration.
Kadhi Kadhitoza, 53 ans, a fabriqué lui-même son costume de toile locale, avec des cauris comme boutons.
Il considère Niarcos comme « le pape » des sapeurs. D’ailleurs, dit-il, « les habits, c’est un truc que Dieu a créé », à l’origine pour couvrir la nudité d’Adam et Eve après qu’ils ont péché dans le jardin d’Eden.
Le Congo a des sapeurs mais est aussi très croyant. « Tout le monde a sa façon de prier », constate Kadhi Kadhitoza.
Devant la tombe de Niarcos, certains énumèrent, en forme de prière, les marques des vêtements qu’ils portent. Souliers Givenchy, jupe Comme des Garçons, chapeau Kenzo…
Un sapeur dirige une prière. « Ô, Dieu de la Sape », lance-t-il. « Nous te prions. Tu fus le premier styliste, le premier modéliste, qui n’a point voulu voir la nudité de l’homme après le péché d’Adam ».
La tradition des dandys d’Afrique centrale, née au Congo-Brazzaville, trouve ses origines à l’époque coloniale, dans la rencontre entre les Africains et la mode européenne.
Le phénomène des sapeurs s’est accentué dans l’ex-Congo belge durant le boom économique de l’après-guerre, explique l’écrivain André Yoka Lye, professeur et ancien directeur de l’Institut national des arts de Kinshasa.
Les adeptes du mouvement voulaient imiter le style européen et vivre joyeusement. Mais leurs motivations ont changé quand le Congo a plongé dans la crise après l’indépendance, le 30 juin 1960.
Le sapeur se livre à « une sorte de démonstration de force au-dessus de ses moyens », analyse le professeur, « d’où son côté excentrique ».
Yoka Lye pense que beaucoup de ces sapeurs modernes sont frivoles, surtout au vu de la guerre qui sévit dans l’est du pays.
La région est en proie aux violences de groupes armés depuis près de 30 ans et vit une crise aiguë depuis la résurgence fin 2021 de la rébellion du « M23 », qui s’est emparée de larges pans de territoire dans le Nord-Kivu.
« Nous sommes en guerre. Nous ne devrions pas nous habiller comme des clowns de cirque », lâche Yoka Lye.
Il y a néanmoins des allusions à cette guerre dans la parade des sapeurs.
Des perles gouttent des lunettes d’un dandy. Elles représentent les larmes des gens de l’Est, dit-il.
Kadhi Kadhitoza, avec son costume fait maison, considère simplement que la tradition de la Sape est indissociable de la culture congolaise. « C’est pour les Congolais, pour nous ».
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