Le président Félix Tshisekedi est entré dans la dernière année de son mandat. L’élection présidentielle est annoncée pour le 20 décembre prochain. Depuis le 24 décembre la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a lancé une gigantesque campagne d’enregistrement des électeurs dans ce pays continent sans état civil et sans infrastructure routière, généralement sans électricité et avec un taux de scolarité en baisse constante.
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Le président de la Ceni, Denis Kadima, proche du pouvoir de Tshisekedi, répète à l’envi que cette campagne d’enregistrement a été bien préparée, qu’il ne lui faudra que 3 mois pour enregistrer les 50 millions d’électeurs et délivrer autant de cartes d’électeurs. Certains opposants au régime Tshisekedi, dont Martin Fayulu, qui se présente comme le vrai vainqueur des élections de 2018, l’ancien Premier ministre de Kabila Augustin Matata, ou le Prix Nobel de la paix de 2018, le gynécologue Denis Mukwege, ont publié une lettre ouverte dans laquelle ils appellent notamment à une réforme en profondeur de la Ceni et de la Cour constitutionnelle, instance qui doit valider le résultat des élections et qui est, elle aussi, largement entre les mains des tshisekedistes après une manœuvre, peu respectueuse de la Constitution, pour déplacer des juges de l’ancienne Cour au profit de nouveaux, issus de l’ethnie présidentielle.
Les manœuvres politiques sont lancées
La veille de Noël, Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur du Katanga, qui avait choisi jusque-là de soutenir la majorité présidentielle sans signer pour autant un chèque en blanc à la majorité de l’Union sacrée de la Nation, a annoncé qu’il quittait le navire et serait candidat à la prochaine présidentielle. Un départ et une candidature prévisibles qui a impacté le gouvernement du Premier ministre Sama Lokonde qui a perdu dans la foulée deux ministres puisés dans les rangs du parti de Katumbi : Christian Mwando et Chérubin Okende, respectivement ministre du Plan et des Transports. Deux départs qui démontrent que le Chairman, s’il a perdu plusieurs cadres appâtés par les billets verts du pouvoir, est parvenu à conserver des assises solides. Dans les rangs katumbistes, de plus en plus de voix se font entendre pour exiger aussi une réorganisation de la Ceni et de tout le processus électoral “bien mal engagé”, selon un observateur de la plateforme politique Lamuka présent à Matadi dans le Kongo central.
Un acteur politique majeur, Joseph Kabila, doit encore se positionner. Silencieux depuis son départ du pouvoir, l’homme devra sortir prochainement de son silence s’il veut peser sur le processus politique et répondre à l’attente de ses troupes, encore nombreuses, qui lui sont restées fidèles.
Processus chaotique
Les différents témoignages recueillis dans la ville capitale de Kinshasa et dans le Kongo central auprès de jeunes gens engagés et formés par la Ceni sont désastreux et font déjà peser une lourde hypothèque sur la crédibilité de tout le processus électoral qui va coûter au moins un milliard de dollars. “Certains bureaux sont introuvables, d’autres ont été ouverts avec plusieurs jours de retard et ne disposent pas du matériel nécessaire”, explique un témoin européen qui insiste sur “la difficulté de se faire accréditer comme observateur pour le processus en cours”.
”J’arrête, explique de son côté un jeune Kinois formé par la Ceni. “Notre contrat prévoit que nous serons payés 250 dollars pour 45 jours de travail mais les déplacements ne sont pas compris et nous ne serons payés qu’après notre mission. Ici, cela fait cinq jours que je travaille, j’ai déjà dépensé 15 dollars en transport. Rien n’est prévu pour notre nourriture. Il va me rester à peine 60 ou 70 dollars nets après 45 jours, c’est impossible. Je préfère arrêter et chercher un autre travail”.
”Quand on fait état de cette situation à des cadres de la Ceni qui passent par nos bureaux, ils nous conseillent discrètement de faire payer les électeurs qui viennent s’inscrire et qui, par exemple, viennent sans témoin”. « Un autre nous a conseillé de pomper l’essence des générateurs pour pouvoir la revendre”.
Au fil des jours, les témoignages arrivent qui dénoncent tous les manquements de cette organisation. “Et ça, c’est ce qui se passe dans les provinces qu’on peut qualifier de facile, explique un cadre congolais d’une ONG internationale. “Que va-t-il se passer en février et en mars quand il faudra aller enregistrer les électeurs des provinces du Sud-Kivu, du Nord-Kivu ou de l’Ituri qui sont ébranlées par des combats, les attaques incessantes de diverses milices et qui ont vu des centaines de milliers de personnes jetées sur les routes de l’exode. Comment permettre à ces gens de s’inscrire ? Certains sont déjà privés, on l’espère momentanément, de la possibilité de s’inscrire pour les scrutins.”
Échec de la lutte contre les milices
La Ceni, par la voix de son président Denis Kadima, a en effet annoncé, dès le 22 décembre, que l’enregistrement des électeurs du territoire de Kwamouth, dans la province du Mai-Ndombe était reporté à la fin février “en attendant le retour de la paix”. La région doit faire face à des affrontements intercommunautaires qui opposent depuis mai 2022 principalement des membres des communautés teke et yaka, pour des questions de propriété de terres. Ces affrontements ont fait plusieurs dizaines de morts et plus de 40 000 déplacés. Le retour à la paix, certains responsables locaux peinent à l’entrevoir, d’autant que les militaires qui avaient été envoyés dans certains villages pour assurer le maintien de la paix, ont été rappelés et “les policiers qui doivent les remplacer ne sont pas encore arrivés. Le terrain est donc de nouveau dégagé pour une reprise des violences, c’est incompréhensible”, expliquait ce 30 décembre un des responsables de la société civile de cette province.
La violence dans cette région située à moins de 200 kilomètres de Kinshasa, inquiète aussi un panel d’experts onusien qui a rendu au Conseil de Sécurité un rapport intérimaire de 238 pages que La Libre a pu consulter. Les experts dressent également le bilan de la situation sécuritaire dans l’est de la République démocratique du Congo, non seulement vis-à-vis du M23, pour lequel ils évoquent le soutien du Rwanda, la complicité de l’Ouganda, le recrutement forcé d’enfants, les viols mais aussi d’autres mouvements rebelles qui, malgré l’instauration d’un état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord Kivu depuis le mois de mai 2021, malgré le lancement d’opérations militaires communes entre l’armée congolaise (FARDC) et celle de l’Ouganda (UPDF – Ugandan people’s Defence forces), malgré la présence de la Monusco, continuent de progresser.
Ils indiquent ainsi que les rebelles ADF, originaires d’Ouganda et qui ont fait allégeance à l’État islamique, ont “mené des attaques contre des civils dans le territoire de Beni (Nord-Kivu) et dans le sud de l’Ituri. Les ADF ont continué d’opérer en petits groupes, lançant des attaques simultanées sur plusieurs fronts. Ces attaques et leurs mouvements avaient principalement pour but de se réapprovisionner, de repérer des lieux pour installer de nouveaux camps, détourner l’attention des opérations militaires lancées contre elles ou d’exercer des représailles”. Ils expliquent aussi que “Depuis avril 2022, les attaques des ADF ont causé la mort d’au moins 370 civils, et 374 personnes ont été enlevées, dont un nombre important d’enfants”. Malgré la destruction de certains camps et quelques arrestations, le commandement des ADF n’a pas été affecté, peut-on encore lire. Cette évolution de la violence en Ituri s’expliquerait aussi par la mobilisation de troupes de l’UPDF, des FARDC et de la Monusco vers le Nord-Kivu face à l’avancée du M23.
Les experts onusiens insistent aussi sur le lien entre ADF et l’État islamique. “À partir d’avril 2022, le nombre de communications de l’État islamique revendiquant, au nom du groupe Province d’Afrique centrale de l’État islamique”, des attaques attribuées aux ADF en République démocratique du Congo ont de nouveau augmenté”. Le rapport document précisément certaines attaques à “l’explosif improvisé” notamment à Goma et Butembo.
Les liaisons dangereuses des FARDC
L’armée congolaise n’est pas épargnée par ce rapport qui évoque notamment le cas de militaires qui ont fui le combat ou qui ont fait défection “pour rejoindre avec armes le M23”. On découvre aussi que depuis le mois de mai dernier, une coalition hétéroclite de petits mouvements rebelles s’est constituée et s’est associé au FARDC pour faire face au M23. Selon différents témoignages repris dans le rapport, ces rebelles ont “reçu à plusieurs reprises des armes et des munitions de la part de membres des FARDC”.
Discours de haine
Dans le contexte de la résurgence du M23, le Groupe d’experts a constaté “une prolifération inquiétante de la xénophobie et des discours de haine incitant à la discrimination, à l’hostilité et à la violence à l’égard des populations rwandophones, en particulier des communautés banyamulenge et tutsie, ce qui a parfois conduit à des actes de violence voire à des meurtres”. Et les experts de pointer le fait que ce discours s’est étendu dans tout le pays. “Une rhétorique dont usent et abusent les tenants du pouvoir à Kinshasa”, explique un expert européen. “Cet argument est porteur aujourd’hui. Il permet de fédérer un front uni congolais contre des agresseurs extérieurs et de faire oublier le bilan d’une équipe qui a beaucoup parlé, beaucoup voyagé mais n’a pratiquement aucun bilan à présenter. C’est aussi simpliste qu’extrêmement dangereux. C’est le retour de certains accents et mots entendus au début des années 90”.
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Début du processus électoral plus que chaotique, violence aux portes de Kinshasa, situation qui s’enlise et qui empire dans l’est du pays de l’Ituri au Sud-Kivu, réapparition du discours de haine et jeu dangereux du pouvoir, les nuages s’amoncellent au-dessus d’un pays et d’une population de près de 100 millions d’âmes qui ont toutes les raisons d’être inquiètes pour leur avenir immédiat.
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