Restera ? Restera pas ? Le chef de l’État sud-africain, par ailleurs président de l’ANC, le parti de Nelson Mandela, formation au pouvoir depuis 1994, est sur un siège instable qui balance au gré des révélations et des inquiétudes économico-politiques dans un pays frappé notamment par une profonde crise énergétique, alors que l »ANC, de son côté, est fracassé par une série de tensions internes, de règlements de compte et d’une impressionnante série d’affaires de corruption.
Les ennuis actuels de Cyril Ramaphosa, “Cyril” pour ses supporters, ont en réalité commencé en février 2020 quand des cambrioleurs se sont introduits à Phala Phala, le nom d’une des luxueuses fermes du président où il élève notamment du gibier, dans le nord-est du pays. Ce jour-là, en fouillant la maison, les malfrats ont découvert des liasses de dollars “planquées” sous les coussins d’un canapé.
Omerta
Mais aucune information n’a filtré sur ce cambriolage jusqu’au 1er juin 2022. Alors que Cyril Ramaphosa se dirigeait vers une réélection à la tête du parti avant la fin de cette année et donc, sauf bouleversement qui verrait l’ANC devancer par une autre formation politique lors des législatives prévues en 2024, vers un second mandat à la tête du pays, l’affaire du cambriolage à Phala Phala éclate au grand jour. Arthur Fraser, ex-patron du renseignement, notoirement proche des adversaires Ramaphosa au sein de l’ANC, dépose une plainte qui déclenche l’ouverture d’une enquête pénale.
Pour Fraser “plus de quatre millions de dollars” étaient dissimulés dans la propriété et découverts par les cambrioleurs. Selon lui, l’argent a été introduit “illégalement” dans le pays par un conseiller pour le compte du président. “Le président a dissimulé le crime à la police et aux impôts”, poursuit-il, accusant dans la foulée Ramaphosa d’avoir organisé via son service de protection la traque des voleurs et leur “séquestration”, avant de les soudoyer pour leur silence.
Du pain bénit pour un petit parti de l’opposition, le Mouvement pour la transformation de l’Afrique (ATM), qui dépose une motion de censure contre le président.
À qui ces buffles ?
M. Ramaphosa ne nie ni le cambriolage, ni la présence des dollars. Selon sa version, transmise à la commission parlementaire chargée de l’affaire, il y aurait eu 580 000 dollars provenant de la vente de buffles quelques mois plus tôt à un acheteur soudanais C’est l’employé chargé de la vente qui a décidé de cacher cet argent sous les coussins.
Ce mercredi 30 novembre, le rapport des parlementaires chargés de se pencher sur ce dossier a conclu que “Le président a pu commettre […] des violations et des fautes” dans le cadre de cette affaire. Une conclusion qui ouvre la porte à une procédure de destitution. Les parlementaires s’étonnent de la légèreté de l’acheteur qui transporte 580 000 dollars, de celle du clan Ramaphosa qui n’a pas déposé ces fonds à la banque, préférant les dissimuler dans un canapé, et, surtout, du fait que les buffles “vendus” à un acheteur dont l’identité n’a pu être confirmée, se trouvent toujours à Phala Phala, près de deux ans après la transaction. “Il existe de sérieux doutes quant à savoir si les devises étrangères volées proviennent bien de leur vente”, conclut le rapport.
Jeudi, au lendemain de la divulgation du rapport parlementaire, le chef de l’État sud-africain a laissé entrevoir une démission pour ne pas devoir affronter une éventuelle destitution.
Surchauffe
Malgré la majorité de l’ANC au parlement, la guerre des clans au sein du parti ne lui garantit pas de sortir vainqueur d’un bras de fer qui pourrait finir de faire exploser le parti déjà sous perfusion. L’annonce de cet éventuel pas de côté a immédiatement fait plonger la monnaie nationale, le rand, de 4 %. “Ramaphosa ne rassure pas spécialement les services financiers, son bilan économique n’est pas bon et la situation sociale est très compliquée mais son départ et le vide qu’il risque se laisser au sein du parti créent une instabilité que les financiers détestent”, explique un banquier de Johannesbourg.
Mais ce vendredi, changement de ton, plusieurs indices laissent penser que le président va s’accrocher. Ses services annoncent un discours dans les prochains jours. “Le parti veut examiner de plus près les faits dans l’affaire visant le président, avant de se réunir à nouveau”, a expliqué vendredi après-midi le secrétaire général du parti Paul Mashatile.
Cyril Ramaphosa, lui, a passé sa journée à consulter les caciques de son parti. “Il veut savoir si le parti fait bloc derrière lui. Nous l’avons rassuré”, assure l’un de ses visiteurs sous couvert d’anonymat. Quoi qu’il arrive ce nouveau “dossier” ne fait qu’accroître le malaise vis-à-vis du parti dont l’ancien président, Jacob Zuma, est déjà empêtré en justice dans de solides dossiers de corruption, tandis que le challenger de Ramaphosa, ex-ministre de la Santé, a été prié de quitter son poste suite à… des soupçons de corruption.
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