Depuis ce vendredi et cette déclaration du chef de la diplomatie congolaise, faite en présence du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, les réseaux sociaux congolais s’enflamment. Les Nations Unies, qui seraient responsables de ce que le ministre a baptisé « un embargo qui ne dit pas son nom » sont dès lors présentées comme un soutien évident du Rwanda qui, lui, peut acheter les armes sans notification avant de les fournir aux rebelles. L’Union européenne n’est pas épargnée, la France est en tête du peloton des plus ciblés par la twittosphère.
Que sait-on de cette commande ?
Le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères explique dans sa communication : « On a refait la liste des armes à déclarer par ceux qui nous les vendent. Il y a des banques, des transporteurs et même ceux qui fabriquent les armes qui ne veulent pas traiter avec nous ». Selon le ministre, la RDC serait « sur la liste noire » et de poursuivre en affirmant qu’il y a « un cas qui se produit maintenant. Je ne vais pas donner de détails. Au moment où je vous parle, ce qui a été acheté ailleurs, le matériel militaire venait par ici mais en cours de route le transporteur à dit non, non, non, ça ne peut pas arriver en RDC. »
Bref, aucune communication sur ce qui aurait été acheté par la RDC. Aucune trace non plus. Le ministre de la Défense ne s’est jamais exprimé sur cette question qui relève pourtant bien plus de son portefeuille que de celui du ministre des Affaires étrangères…
Plus d’embargo pour le gouvernement conglais depuis 2008
Le texte de la résolution 2293 de 2016 des Nations unies (disponible sur Internet) est on ne peut plus clair sur la situation de l’embargo sur les armes qui prévaut en RDC. Ce texte, dans son alinéa 2, dit que ces mesures d’embargo « ne s’appliquent plus (depuis 2008) à la fourniture, à la vente ou au transfert au Gouvernement de la République démocratique du Congo d’armes et de matériel connexe ni à la fourniture d’une assistance ou de services de conseil ou de formation ayant un rapport avec la conduite d’activités militaires destinés au Gouvernement de la République démocratique du Congo… »
Il n’y a donc plus d’embargo. Reste une obligation de notification par les États vendeurs/founisseurs de ces armes au gouvernement congolais. Ces États doivent notifier l’ONU avant de livrer les armes en RDC. Mais là encore cette mesure a été assouplie en juin 2022 avec la résolution 2641 qui ramène l’obligation de notification à seulement 5 types d’armes légères
• Tous les types d’armes d’un calibre allant jusqu’à 14,5 mm et leurs munitions ;
• Les mortiers d’un calibre allant jusqu’à 82 mm et leurs munitions ;
• Les lance-grenades et lance-roquettes d’un calibre allant jusqu’à 107 mm et
leurs munitions ;
• Les systèmes portables de défense antiaérienne (MANPADS) ;
• Les systèmes de missiles guidés antichars.
En dehors de ces 5 éléments, il n’y a ni embargo, ni obligation de notifictaion aux Nations unies. « Il y a plusieurs livraisons qui se sont faites sans notifications à l’ONU », explique un gradé.
« Il n’y a aucune raison pour qu’un transporteur décide de faire demi-tour », poursuit un autre militaire.
La RDC peut évidemment oeuvrer pour faire lever cette dernière obligation de notification déjà largement allégée. Ce dispositif est en place depuis 2008 ! Il serait étonnant que les diplomates congolais et leur chef le découvrent le 11 novembre 2022.
L’attitude du gouvernement congolais, du moins du ministère des Affaires étrangères étonne. « Les réseau sociaux, largement infiltrés par les tenants de l’UDPS et de l’Union sacrée ont retenu ce qu’ils voulaient bien entendre. Pour eux, si la RDC est actuellement incapable de s’opposer à la progression des rebelles, c’est la faute des Nations unies, de l’Union européenne et donc de l’Occident. C’est plus facile que de devoir se regarder en face », explique un élu congolais. Beaucoup soufflent sur ces braises et ont appelé à des manifestations, voire des violences comme, notamment, cet ultimatum « lancé à la communauté internationale représentée par Antonio Guterres » : « Brûlons les ambassades et les bureaux des ONG des Nations unies. Si les armes achetées par la RDC n’atterissent pas à kinshasa dans 48h en dater de ce lundi 14 novembre 2022, commencez déjà à quitter la RDC. Nous allons nous occuper de vos représentants dans ce pays de Lumumba. Les Congolais ne sont pas des bêtes à abattre. Trop c’est trop ».
Face à cette poussée de fièvre qu’il a provoquée, le ministre des Affaires étrangères Christophe Lutundula, sans remettre en cause ses propos, a appelé au calme lors d’un passage sur les antenne de la radio onusienne Okapi, ce mardi matin, expliquant que les éventuelles violences contre les institutions internationales ne feraient qu’affaiblir la position de la RDC.
Un débat au parlement ?
Lundi, le député UNC, parti de Vital Kamerhe, membre de l’Union sacrée, Juvénal Munubo, originaire du Nord-Kivu a déposé une question orale avec débat adressée au ministre Lutundula à l’Assemblée nationale. La balle est dans le camp du président de l’institution Christophe Mbosso qui doit fixer le calendier. Au vu l’actualité, on peut espérer que ce débat pourra se tenir très rapidement. « Il faut que ce débat revienne au parlement. Il ne peut pas se limiter à la twittosphère, explique le député, joint par la Libre Afrique. « Le ministre doit expliquer où en sont les efforts du pays vis-à-vis de cette obligation de notification. Je vais appeler à plus de responsabilités du gouvernement », poursuit le député. « Ce problème de notification, s’il y en a un, n’est pas apparu hier. Qu’a fait le ministre dans ce dossier depuis sa nomination? »
« On n’a pas dû attendre d’être face au M23 pour chercher à acheter des armes. Ce n’est pas maintenant que ce souci de notification s’est présenté. Comment se fait-il qu’on semble le découvrir aujourd’hui ? », s’interroge un autre député, lui aussi de l’Union sacrée qui ajoute, « c’est comme si on cherchait une échappatoire face à l’impuissance de notre armée. Le ministre doit nous expliquer ce qu’il s’est réellement passé. Qu’est-ce qui aurait été acheté ? Qu’est-ce qui aurait été dépensé ? Qu’est-ce qui aurait posé un éventuel souci ? Comment expliquer que le Congo soit tombé sur le seul transporteur zelé qui décide seul, sans y être convié par personne, de rebrousser chemin… c’est très étrange ».
Contacté, le porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication, présent lors de la sortie du ministre Lutundula, a préféré botter en touche et renvoyer vers le ministre des Affaires étrangères : « Je n’ai pas de détails particuliers en dehors de ce qu’a dit le Vice-Premier ». Un Vice-Premier que nous ne sommes pas parvenus à contacter ce mardi.
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