Des centaines de Maliens ont manifesté la semaine dernière dans le centre du pays, pour réclamer la protection de l’État après le massacre attribué à des djihadistes d’au moins 132 civils, l’un des pires carnages dans le Sahel. Selon le gouvernement, ces civils ont été tués par des hommes de la katiba Macina (aussi appelée Front de libération du Macina – FLM), le groupe du prédicateur peul Amadou Koufa, affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Cette katiba, créée en janvier 2015 par Amadou Koufa, est à l’origine de plusieurs dizaines d’attaques et embuscades contre les forces armées maliennes. Amadou Koufa, aussi connu sous le nom de guerre d’Amadou Diallo, prône l’instauration d’une république islamique au Mali et bénéficie d’une vraie popularité dans le centre du pays.
Ce vendredi 24 juin, cette Katiba Macina a démenti, par la voix de son émir, toute implication dans ce massacre. “De fausses nouvelles se sont propagées ces derniers jours, disant que les moudjahidine ont tué des civils à Bankass”, a déclaré Amadou Koufa dans une vidéo postée sur Twitter. Il semble ainsi rejeter la responsabilité de ces meurtres sur l’armée malienne qui s’en serait pris à des civils qui accueillent les terroristes entre deux embuscades, dans un pays où la spirale meurtrière est en plein essor. Les deux camps (armée et djihadistes) semblent s’engouffrer dans un cycle de vendettas dans lesquelles les appartenances identitaires sont désormais devenues un motif de condamnation.
Malgré ces dénégations, plusieurs témoignages accablent la katiba et affirment que les djihadistes, avant de tuer les habitants, ont d’abord rappelé à leurs victimes qu’elles n’étaient pas musulmanes, c’est-à-dire qu’elles étaient des traîtres…
Depuis le début de 2022, près de 2 900 personnes ont été tuées selon l’organisation Armed Conflict Location & Event Data Project. Parmi elles, près de 1 600 civils, soit trois fois plus que sur l’ensemble de 2021.
Les effets de la fin de Barkhane
Impossible de ne pas faire de lien entre la recrudescence de la violence et la fin de l’opération française Barkhane (les derniers militaires quitteront le Mali au mois d’août), voulue par la junte au pouvoir, qui s’est rapprochée des supplétifs russes de Wagner pour mieux pouvoir prendre ses distances par rapport à son ancienne Métropole.
Aujourd’hui, face à ces morts qui ne cessent de s’entasser, la population, prompte à brocarder la France et l’Europe, s’interroge sur le poids réel des “amis russes” et sur la capacité et la détermination de la junte à endiguer l’avancée des terroristes. La dernière rumeur en date dans les grandes villes maliennes et dans certains éditoriaux au picrate voudrait que les hommes de Wagner soient partis en grève parce qu’ils n’avaient pas été payés par l’État malien. Un “bruit” qui en dit long sur le fossé qui se creuse rapidement entre le pouvoir, ses affidés et une population civile lasse de compter ses morts.
Pression régionale
Dans ce contexte sécuritaire particulièrement difficile, Bamako tente, après avoir joué la sourde oreille, d’envoyer des messages rassurants à ses voisins, membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui n’ont pas hésité, le 9 janvier dernier, à sanctionner le pays en ordonnant la fermeture des frontières avec le Mali au sein de l’espace sous-régional et la suspension de tout échange, à l’exception des produits de première nécessité. Vu le retard pris dans la remise du pouvoir aux civils, la Cédéao a confirmé ces sanctions en mars dernier.
Un prochain sommet est attendu pour le 3 juillet et Bamako a mis les bouchées doubles pour avancer vers l’organisation des prochaines élections annoncées, début de ce mois, pour mars 2024.
Dans cette optique, le président de transition malien, le colonel Assimi Goïta, a promulgué ce vendredi 24 juin la loi électorale adoptée une semaine plus tôt par l’organe législatif en place à Bamako. La promulgation de ce texte est considérée comme une étape nécessaire mais non suffisante pour la levée des sanctions. L’ancien président nigérian Goodluck Jonathan, médiateur de la Cédéao, de passage cette fin de semaine au Mali, s’est refusé à tout commentaire sur cette avancée, se contentant de répéter que la décision de lever ou non ces sanctions serait prise lors du prochain sommet mais qu’il actait les progrès du pouvoir malien.
Pour la junte malienne, les “efforts”, selon les termes de certains militaires, sont considérables. Ils rappellent qu’ils s’inscrivent désormais dans le calendrier évoqué par la Cédéao qui invitait “les autorités de transition à adhérer au calendrier de 12 à 16 mois de transition recommandé” avant le retour des civils au pouvoir.
Le jeu est serré. La Cédéao veut obtenir toutes les garanties avant de lever les sanctions qui semblent porter leurs fruits. Les militaires au pouvoir, de leur côté, savent qu’ils n’ont plus toutes les cartes en main mais n’entendent pas “se coucher” sans obtenir un droit de regard sur le futur de leur pays.
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