La maman du docteur Christophe Sahabo est décédée il y a quelques jours. Elle sera enterrée samedi prochain, son fils pourra-t-il sortir de prison pour dire adieu à sa mère ?” À Bujumbura, capitale économique du Burundi, plusieurs voix s’interrogent sur cette “question de dignité humaine”.
Le cas du docteur Sahabo est devenu le symbole de la dérive et des excès d’un régime aux abois au Burundi. Ophtalmologue burundais formé en Suisse, l’homme est rentré dans son pays en convainquant quelques investisseurs de se lancer dans la création et la gestion d’un hôpital flambant neuf à Bujumbura.
Le 3 mars 2015, le président de la République de l’époque, Pierre Nkurunziza, qui avait “convaincu” certaines entreprises publiques burundaises d’investir plus de 10 milliards de francs (un peu moins de 5 millions d’euros) dans le projet, inaugurait les lieux. “Bujumbura et même tout le pays peuvent être fiers d’acquérir un hôpital de qualité aux normes internationales. C’est la réussite d’un partenariat innovant entre les secteurs public et privé”, déclarait alors le maire de la ville Saïdi Juma.
“Cet hôpital Kira est une vraie révolution dans un pays où la plupart des infrastructures sont vieillissantes pour ne pas dire complètement vétustes, avec des machines qui, la plupart du temps, sont en panne”, nous explique un habitant de Bujumbura qui voit avec regrets “ces dernières semaines, les médecins partir les uns après les autres. Ils ne démissionnent pas. Officiellement, ils partent en stage à l’étranger. Mais on sait qu’ils ne reviendront pas.”
Colère présidentielle
C’est que depuis l’inauguration en grande pompe, le président Nkurunziza est décédé. Son successeur Évariste Ndayishimye regarde ce projet avec défiance. Une partie des fonds qui ont quitté les entreprises publiques ne sont jamais arrivés dans le projet. “Ils ont servi à la campagne électorale de l’ancien président”, nous explique un bon connaisseur des arcanes du pays. “Neva” (surnom de l’actuel président de la République) veut récupérer cet argent et cherche des boucs émissaires. Le docteur Sahabo, directeur de l’établissement, en est la victime. Il a été arrêté le 1er avril. Il a séjourné plusieurs semaines dans les cachots des services de renseignement (SNR) avant d’être transféré à la prison centrale de Bujumbura. Le pouvoir, qui ne trouve aucun élément pour l’inculper, vient de décider d’entamer un audit sur la gestion de l’hôpital deux mois et demi après son arrestation. “Et la communauté internationale est complètement silencieuse”, remarque un Burundais qui s’étonne que l’Union européenne ait repris son dialogue avec les autorités burundaises. “Il y a des critères de conditionnalité essentiels pour cette reprise. L’État de droit est de ceux-ci. Or, l’affaire de l’hôpital Kira, qui n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, démontre que le Burundi n’est pas un État de droit. Les arrestations, les tortures, les assassinats des opposants politiques n’ont jamais arrêté. La population constate de plus en plus que les cadres du parti au pouvoir (CNDD-FDD) sont tous devenus des businessmen qui piochent dans toutes les caisses de l’État.” Un état de prédation généralisé qui met à mal les structures de toute la société.
Comment le Burundi s’est enfoncé tout seul dans une crise économique profonde
“Tout est bon pour se faire de l’argent. Pour en revenir à l’hôpital Kira, il est désormais au bord de la faillite parce qu’il est racketté de toutes parts par ces gens du pouvoir”, explique une habitante de Bujumbura qui se dit excédée et qui explique : “Beaucoup de Congolais viennent se faire soigner dans cet hôpital. Ces patients paient en dollars. Ce ne sont pas des sommes exceptionnelles mais c’est suffisant pour attirer la convoitise de petits chefs qui puisent allègrement dans les caisses sans se soucier de l’avenir de l’hôpital qui ne pourra pas survivre longtemps ainsi”.
La crise économique s’accentue chaque jour dans le pays, la pénurie d’essence est de plus en plus sévère, les emplois disparaissent et les investisseurs ne se bousculent pas au portillon. Dans ce contexte, la machine politique du CNDD-FDD a retrouvé des accents qu’on espérait perdus, comme celui de la pression sur les ONG internationales auxquelles le pouvoir tente d’imposer le choix de leurs collaborateurs sur la base de critères ethniques. Une interprétation volontairement erronée des Accords d’Arusha. Les ONG refusent de se plier à ces ukases et expliquent qu’elles recrutent uniquement sur base de la compétence… un critère visiblement peu reconnu dans les hautes sphères du pouvoir burundais.
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